Le cancer a mis de l'espace dans ma vie.
Naturellement, cet espace peut s'entendre en termes de vide : c'est tout ce que j'ai perdu, ce qui ne reviendra plus. Mais c'est aussi une mise à distance qui m'a permis de prendre du recul sur ma vie, comme si je la voyais à travers une longue-vue. Parce que la maladie provoque une rupture dans notre existence, qu'elle la met sur pause, elle crée un espace entre le moi malade et celui d'avant. On peut aller se glisser dans cette fissure pour se tenir entre la personne que l'on ne sera jamais plus et celle qui est en pleine mutation.
L'espace c'est aussi celui que l'on met entre soi et les gens. Tantôt pour les protéger parce que, sur la durée, il est difficile pour les ami.e.s d'être autant présent.e.s, mais aussi parce qu'ils sont rares à pouvoir tout entendre de notre quotidien. Tantôt pour nous protéger nous, nous sortir des injonctions (guerrières notamment), mais aussi parce qu'on est si exposé, si vulnérable; parce qu'on n'arrive pas à tout mettre en mots.
L'espace, c'est aussi celui qu'on a devant nous et qui paraît parfois se dilater; c'est cet après qui semble de jamais arriver, qui semble hors de portée. C'est un vide dont on ne connaît pas encore les potentialités : on est en transformation et on ignore qui on sera au sortir des traitements, même si certain.e.s se projettent, font des plans plus facilement que d'autres.
L'espace c'est aussi tenir à distance les gens, les habitudes, les comportements, les lieux qui absorbent notre énergie : quand on en a si peu, on devient avare, mais cette avarice est la promesse d'une richesse à venir. Pour moi, c'est clairement être plus attentive à ma vitalité et la préserver tel un trésor dont j'ai la responsabilité (merci à Marie-Pierre Dillenseger).
Enfin, il y a l'espace que je me donne: celui pour changer, remodeler ma vie; celui pour respirer, plus profondément, plus intensément. C'est la bulle que je me crée et où je viendrai me ressourcer au sortir de ma chrysalide.
Je me sens à un carrefour où l'espace m'apparaît comme une clé de lecture de cette période de ma vie commencée il y a plus de 18 mois et dont je vois apparaitre le début de la fin. L'espace, c'est sans doute là où se loge une partie du sens que je cherche.
Comments